Deux polices de caractères pour les publics malvoyants

Dans la série des « polices accessibles », il existe un nombre de plus en plus important de typographies dites « adaptées » aux publics empêchés de lire. Ces dernières suscitent toujours un débat épineux sur leur véritable capacité à pallier à un handicap à la lecture... J’ai cependant décidé de vous faire découvrir deux caractères typographiques conçues pour les lecteurs et lectrices malvoyantes qui m’ont — pour ainsi dire — tapée dans l’œil : Atkinson et Luciole.

Atkinson : une police « hyper lisible »

D’abord, un petit tour au Far-West ! Un beau jour alors qu’il était à cheval sous le soleil agressif de Californie, un jeune cow-boy du nom de J. Robert Atkinson devient aveugle suite à une blessure par balle. De son handicap, Atkinson en fera un outil d’innovation et deviendra un inventeur génial, passant sa vie à créer des machines et organisations autour du braille pour améliorer la qualité de vie des personnes malvoyantes et aveugles.

La police de caractères adaptée « Atkinson Hyperlisible », spécialement pensée pour améliorer la reconnaissance des caractères et la lisibilité du contenu écrit pour les lecteurs et lectrices ayant une déficience visuelle, a été nommée ainsi en hommage à ce cow-boy malheureux, fondateur de l’Institut du Braille des États-Unis.

La particularité de ce caractère typographique ? Mélanger les familles typographiques en mettant de côté l’esthétique pour mieux embrasser un confort de lecture maximale. Elle repose sur plusieurs principes de conception, dont le dessin de caractères non ambigus, et de contreformes élargies :

Différences notables entre les lettres qui se ressemblent, comme le chiffre 0 et la lettre O.
Atkinson présente des caractères non ambigus, qui permettent de bien différencier les lettres pendant l'acte de lecture.
Le mot "lisibilité" écrit en Arial et en Atkinson.
Un travail de différenciation permet d'approcher chaque lettre de manière plus aisée.

La police a été développée en collaboration avec des spécialistes de la basse vision de l'Institut ainsi qu’un panel de personnes souffrant de déficiences visuelles, puis dessinée dans le cadre de la refonte de l’identité visuelle de l’Institut par une agence new-yorkaise.

Point de détail intéressant: quelques lettres comportent des détails circulaires pour évoquer les points de braille, comme un hommage à l'histoire de l'Institut dédié à ce système d’écriture tactile. Cela amène-t-il vraiment quelque chose à la clarté du caractère typographique, ou est-ce davantage un clin d’œil (ok, j’arrête les métaphores visuelles) à intégrer à l’identité de marque de l’Institut ?

Atkinson supporte vingt-sept langues (dont des caractères accentués, important à noter pour tout lecteur français) et est disponible dans quatre styles (Regular, Bold, Italic et Bold Italic), ce qui permet de bien travailler la composition de tout support de communication — j’y reviendrai plus bas.

Dans les articles anglophones que j’ai pu lire pour me renseigner sur l’Atkinson, il était souvent mention du manque de police de caractères adaptée à la communauté des lecteurs et lectrices malvoyantes. Et pourtant, ils avaient tort car, au pays de Louis Braille, il existait déjà une police de caractères adaptée pour les personnes malvoyantes ! Non pas l’Arial si souvent plébiscitée et employée dans les documents, mais bien de celle qui porte le nom d’un petit insecte source de lumière : la Luciole.

Lumière sur... Luciole

Les quelques trois mille caractères de Luciole — alphabet, ponctuation et signes mathématiques couvrant une majorité des langues européennes — ont été pensés avec le même principe primordial que la Atkinson : rendre les lettres aisément identifiables pour une grande facilité et un meilleur confort de lecture.

Conçue et dessinée par le typographe et le transcripteur Jonathan Fabreguettes, elle est le résultat de deux ans de travail avec le Centre Technique Régional pour la Déficience Visuelle (CTRDV) et une équipe de travail pluridisciplinaire composée de professionnels des secteurs du médico-social, de l’édition adaptée, de la recherche, du design et du développement.

Outre des critères de conception technique dont je tairais les termes jargonneux, une attention a été portée sur la différenciation visuelle des lettres et des chiffres, donnée fondamentale pour toute lectrice dont l'acuité visuelle est inférieure à 3/10e. 

Comparaison du mot "lisibilité" et quelques chiffres en Arial et en Luciole.

Un exemple d’application de Luciole nous vient de MatthieuRondeau, co-fondateur et concepteur des livres adaptés de la librairie desGrands Caractères, qui a tout naturellement opté pour l’utilisation de ce caractère typographique pour les ouvrages de la librairie. Du point de vue de la lecture numérique, Luciole est incluse dans l’application de lecture gratuite Dolphin EasyReader. Enfin, Luciole a été largement adoptée par des associations spécialisées dans la déficience visuelle, des éditeurs spécialisés de référence, et les lecteurs déficients visuels.Vous pouvez tester ce caractère typographique sur ce site dédié <superscript>(externe)<superscript>, et le découvrir in situ sur le site du Centre d’Évaluation et de Recherche sur les Technologies pour les Aveugles et les Malvoyants <superscript>(externe)<superscript>.

Quelle est la meilleure solution ?

Alors, qui remporte le duel ? La lisible Atkinson ou la lumineuse Luciole ? Et bien... Il n’y a pas vraiment de compétition entre ces deux créations typographiques : je les ai choisies parmi diverses offres de polices d’écriture dites « accessibles » (et par ailleurs plus ou moins expérimentales) car elles s’ancrent toutes deux dans une démarche de recherche et de conception rigoureuse... Sans oublier qu’elles sont gratuites et libres d’utilisation !

Le processus rigoureux des recherches, la complémentarité des équipes entre sciences et design, l’attention portée à de nombreux critères typographiques (notamment sur les caractères non ambigus), la présence de différents styles et bien sûr l’inclusion des publics concernés durant les différentes phases du projet en font mes deux lauréates parmi d’autres.

Je profite de cet article pour citer l’autrice déficiente visuelle Cy Jung : « (...) il y a autant de déficients visuels que de déficits visuels. Vous ne pourrez jamais tout bien faire pour tout le monde.Par contre, votre attention à la lisibilité de vos textes en améliorera la lecture pour tous, vous compris. »

Aussi, ma conclusion n’est pas tellement de dire quelle est la meilleure police de caractères pour un public de lecteurs donné, mais plutôt d’indiquer qu’elles sont un outil, un point de départ essentiel et qualitatif pour la composition d’un document adapté. Car outre la typographie, il reste primordial de prendre soin de la composition de votre support de communication en pariant sur de bons contrastes de couleurs, un espacement adéquat des lettres et une hiérarchie de l’information claire. Ces considérations complémentaires à votre choix typographique viendront confirmer la qualité de vos supports au service de vos lecteurs et lectrices malvoyantes. On se donne rendez-vous dans un prochain article pour aborder ce sujet !

Définitions

  • Familles de polices : catégorisations pour classer les différents styles graphiques des polices de caractères à partir de l'observation de leur esthétique ou en fonction de leurs dates de création. On parle, par exemple, de la famille des polices linéales (sans empattements) dont fait partie l'Arial.
  • Contreformes : espaces vides à l’intérieur de certaines lettres. Ces espaces peuvent être ouverts ou fermés.
  • Transcripteur- adaptateur : professionnel facilitateur de la lecture, spécialisé dans la transcription et l’adaptation de documents destinés à des personnes porteuses d’un handicap visuel et aux personnes atteintes de troubles DYS. Il veille à ce que des supports pédagogiques, administratifs ou culturels puissent être clairement déchiffrés, que ce soit dans leur version numérique ou imprimé.
  • Style typographique : Une famille de polices se compose de polices de plusieurs styles, comme le Regular, l’Italique ou le Bold. Ces styles offrent de la souplesse pour produire des compositions visuelles structurées qui encouragent la bonne transmission d’un message.

Sources

Ressources

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