Rédiger avec clarté

Trois fois que vous lisez le même paragraphe de cet important contrat. Pertubé par un jargon de métier et des tournures de phrases alambiquées, vous vous décidez à apposer votre signature. Tant pis ! Après tout, vous avez saisi le propos global du document, ça devrait suffire… Qui ne s’est pas retrouvé dans ce genre de situation ? Ces incompréhensions et tensions provoquées par un contenu obscur peuvent être évitées si l’on y invite davantage de clarté et simplicité. Comment rédiger des textes accessibles et compréhensibles par une large audience, quel que soit son degré de littératie* ? Alicia Delambre, rédactrice spécialisée en communication claire, nous partage des astuces en ce sens.

Bonjour Alicia ! Peux-tu te présenter ?

J'ai débuté en tant rédactrice web. Le métier de rédactrice web consiste à rédiger des textes pour les sites internet. J’ai d’abord exercé cette activité en parallèle de mes études avant de m’y consacrer pleinement. Mais la manière dont je le pratiquais manquait de sens : je voulais donner plus d’impact à mes mots. J’ai donc créé une agence spécialisée en communication claire, « Écrire et Raconter », via laquelle j’accompagne les entreprises, les associations et les indépendants dans leur souci de proposer une communication plus claire, simple et accessible à toustes.

Qu’est-ce que la communication claire ?

C’est une expression globale qui regroupe le langage clair* et le Facile à Lire et à Comprendre (FALC).

Le FALC est une méthode pour rendre l'information facile à lire et à comprendre, notamment pour les personnes en situation de handicap intellectuel. un texte est Facile à Lire et À Comprendre lorsqu'il respecte certains critères stricts, mis en place au niveau européen. Par exemple :

  • Faire valider la clarté d’un texte simplifié par une personne en situation de handicap intellectuel ;
  • User de pictogrammes pour illustrer des concepts, des mots compliqués, pour parler d’un pays ou d’une période historique.

C’est un super outil, qui s’ouvre au final à un large public !

Sous une bannière de logos officielles, les réponses aux 4 questions sur le vaccin contre la Covid sont illustrées sur leur gauche par un pictogramme coloré. Des infos de contact concluent ce document de 2 pages.
Fiche d’information sur le vaccin contre la Covid-19 en Facile à Lire et À Comprendre. © Santé Publique France

Le Langage Clair et Simple est une méthode d’écriture et de clarification qui n’est pas aussi stricte, mais rejoint un objectif partagé : rendre l’information plus facile à lire et plus simple à comprendre.

Quelles sont les bases d’un langage clair ?

Il y en a plusieurs, comme faire des phrases plus courtes. Ça paraît très bateau, mais c'est essentiel pour se faire comprendre ! Parfois, on se retrouve devant des phrases qui font quatre lignes avec trois, quatre, voire cinq idées. Résultat : on ne la comprend pas du premier coup… On va plutôt la relire deux-trois fois, on va tenter de la découper pour essayer comprendre à peu près de quoi ça parle.

Des phrases trop longues sont compliquées à saisir pour un tas de personnes. On n'a pas toustes les mêmes difficultés à lire ou à comprendre. Et puis, ça nous fait perdre du temps... Bref : faire des phrases plus courtes en pariant sur 15-20 mots par phrase, c'est déjà un bon indicateur.

On pensera aussi à mettre une idée par phrase et ne pas trop utiliser de subordonnées ("que", "qui") qui alourdissent la phrase.

On est vraiment dans l'idée de faire des phrases qui aillent droit au but !

D’ailleurs, je remarque souvent des textes qui tournent autour du pot, avec des tournures qui créent des phrases de quinze mètres de long… Alors qu'au final, tu peux très bien la réduire et aller à l'essentiel ! C'est beaucoup plus clair, beaucoup plus rapide et ça évite les ambiguïtés. Par exemple, quand on dit : « J'aimerais avoir votre message le plus rapidement possible »… Qu'est-ce que ça veut dire ?

C'est trop vague ?

Exactement. Aller droit au but, ça permet aussi d'éviter les conflits. Un vrai cercle vertueux !

As-tu un autre conseil à partager pour aller encore plus loin dans la clarté d’un texte ?

Se mettre à la place du lecteur. Par exemple, quand j'envoie un email, je dois me demander si la personne qui va le lire est en mesure de comprendre ce que je viens de lui envoyer. Quand on écrit, on a cette sensation d’évidence parce qu'on maîtrise le sujet… Mais la personne va-t-elle comprendre mon propos ? Est-ce qu'elle ne va pas interpréter le message d’une autre manière ? Est-ce mon email crée de l’ambiguïté ?

Avant de publier votre document, assurez-vous que n’importe quelle personne puisse le comprendre. Par exemple, posez-vous cette question : est-ce qu'un enfant de 10 ans peut comprendre ?

C'est intéressant de se mettre à la place de l'autre et de se dire : « est-ce que, peut-être, il serait mieux d'adapter, de changer ou de définir ce mot ». Même si ce n’est pas évident, c'est toujours très important de faire preuve d’empathie.

Finalement, il faudrait qu'on ait ce réflexe de se décentrer…

Oui, c'est tout à fait ça. On peut rédiger un texte, prendre un peu de recul sur ce qu'on vient d’écrire pour mieux imposer une distance entre nous et le texte. 

Je souhaite écrire une lettre à un organisme quelconque. Je choisis de ne pas l'envoyer tout de suite mais de revenir dessus pour le peaufiner. Est-ce là une bonne démarche pour participer à la clarté de ce que je veux transmettre ?

Se laisser un temps de relecture après avoir rédigé est très important. En général, quand je rédige un document, soit je le relis dans la foulée — c'est-à-dire je fais attention à ce que mon document ait toutes les informations nécessaires et à ce qu'elles soient dans le bon ordre. Puis, j'attends en général 24 à 48 heures pour relire le document.

Vue d'un sablier.
Le temps est une composante essentielle d’un texte clair et abouti.

À ce moment-là, j'ai eu le temps de prendre du recul et de me mettre à la place de la personne qui découvre le document. Je vais faire attention aux informations, à la structure du document, à l'orthographe, à la formulation des phrases… Je modifie et, si le document ne me convient pas tout à fait, j'attends de nouveau 24 à 48 heures, voire plus, pour peaufiner le texte jusqu'à ce qu’il me paraisse suffisamment cohérent.

Sachant que nous sommes toujours pressées, c'est important de souligner que ce sont ces respirations qui permettent de communiquer de manière claire et pertinente.

Oui. Cependant, c’est une démarche que je réserve aux documents et aux articles, pas forcément aux emails par exemple.

La critique récurrente autour du langage clair, c'est qu’il vient dénaturer ou appauvrir la langue française, si riche de nuances. Que penses-tu de ce reproche ?

C'est une réflexion que j'ai eu au moment où j'ai découvert le FALC. Aimant lire et écrire, il m’arrive de rédiger des phrases de quinze mètres de long, d’employer des points virgules, de jouer avec les mots... Donc une partie de ce reproche est vraie. Mais, quand on écrit un document  pour une large audience, pour son collègue ou quelqu'un en particulier, nous adaptons le ton et le discours du document. Car l'objectif est de se faire comprendre.

Quand un texte a un but informationnel, on n'est pas là pour faire de belles phrases ! Si le lecteurice doit sortir son dico et relire dix fois la même phrase pour la comprendre, le but n'est pas atteint. Par contre, si on écrit une nouvelle, là on pourra se permettre d'utiliser des mots ou des tournures de phrases plus complexes, ce n'est pas grave car la visée est littéraire. Le tout, c'est de bien cerner le but de notre document et de rédiger en fonction de son audience.

On sort de l'exercice littéraire pour être dans cette compréhension instantanée d'une information.

Oui. Il faut penser qu'à l'école, on nous a appris à faire des dissertations, à varier notre vocabulaire, à éviter les synonymes...  Tout ce que je dis dans ma formation en communication claire va à l'encontre de ça !

Faire des répétitions, des phrases courtes, aller à l'essentiel... C'est complètement contradictoire avec cet enseignement-là, et c'est pour cela que je propose d’apprendre à communiquer différemment. Les dissertations, c'est pratique pour écrire mais au quotidien, ça ne nous sert pas tellement. Je rencontre beaucoup de personnes qui ont du mal à synthétiser parce qu'on n'apprend peut-être pas suffisamment à le faire. C'est pourtant un vrai besoin !

Je fais un parallèle avec mon activité de designer graphique...

Le graphisme a une fonction esthétique, mais c'est avant tout de la communication ! Quand j’évoque un graphisme accessible, je la relie à cette idée d'épurer, de synthétiser, d'aller à l'essentiel pour que l'information soit lisible, notamment auprès de personnes en situation de handicap. En graphisme, l'information visuelle doit avant tout être un intermédiaire pour informer, transmettre, enseigner. Pour se faire, je tâche de ne pas trop en mettre sur mon support qui doit néanmoins rester attractif et joli !

Deux pages d’un même livre scolaire. On a supprimé des détails graphiques encombrants (en-tête rayée, ombres portées marquées, nuancier bariolé…) pour une mise en page plus claire et aérée.
Avant/après d’une maquette de livre clarifiée.

Quand j'ai découvert que ce que j'avais pu produire en support de communication n'était pas forcément réceptionné ou compris par un large public, ça m'a obligée à désapprendre mon métier. Tu parlais de dissertation à l'école ? De mon côté, quand j'ai fait mes études de graphisme, il y a une grande focalisation sur le style, le beau, les tendances… mais peut-être pas assez sur cette clarté de l'information. Et là aussi, j'ai dû apprendre à synthétiser, à me départir de certains réflexes graphiques que j'avais. Ce n'était pas une mince affaire, mais au moins, ça rejoint le but premier de mon métier qui est de communiquer visuellement quelque chose à toustes, et non pas de vouloir trop en dire.

Au-delà de cette réflexion, penses-tu que la communication claire et le SEO vont de pair ?

Je ne suis pas sûre… Les navigateurs prennent de plus en plus en compte l'accessibilité. Bien remplir ses balises*, faire attention aux contrastes*… Ce sont ces pratiques qui vont aller dans le bon sens pour la SEO.

Il faut avant tout penser à l'expérience utilisateur : prendre soin de la structure de l'article, créer un sommaire pour naviguer dans la page, utiliser des corps* de polices de caractères pas trop petites…. Au-delà du SEO, la question principale va plutôt être : comment je peux faire pour rendre mon article compréhensible et agréable à lire ?

C’est bien beau que Google m’oblige, en quelque sorte, à écrire des contenus de quatre mille mots pour que je sois visible ! Si ton article apparaît dans les premières recherches mais que l'expérience utilisateur a été mise à la poubelle, les usagers ne vont pas rester à lire ce que tu as écrit…

J'aime bien parler d’expérience lecteur car c'est très évocateur du travail de rédacteur. Que ce soit en imprimé ou en numérique, ça peut faire la différence parce qu'il y a énormément de concurrence en ligne pour être visible sur les premiers résultats de recherche. 

Travailler sur un document qui est clair, facile à lire et facile à comprendre, ça peut faire la différence parce que le lecteur prendra le temps de lire vraiment, et peut-être même d’interagir.

Je doute que beaucoup de monde prenne le temps de lire « vraiment », c’est-à-dire avec attention. On est tellement sollicités de toute part que de penser à la structure d'un document, à la rédaction de phrases courtes, avec des idées limitées dans chaque phrase, vont capter cette denrée rare qu’est l’attention.

La bataille de l’attention est un vrai combat car il y a tellement de choses à lire !

Quels sont les retours des usagers ou des professionnels que tu as accompagnés dans la rédaction de contenus clairs ? 

J'ai surtout des retours des personnes que j'ai formé. Elles sont convaincues par la méthode et me disent : « on va vraiment passer au langage clair ». J'ai récemment parlé avec une dame qui travaille dans un musée. Elle est convaincue par l'intérêt du Langage Clair et Simple. Aujourd'hui, le FALC est assez compliqué à mettre en place et à intégrer dans les stratégies de communication. Le langage clair offre plus de souplesse. Elle a conscience de l’usage de mots compliqués, de telle ou telle brochure pleine de longues phrases... Comme quoi c'est barbant et qu’on n’y comprend rien ! Le langage clair lui semble une bonne alternative parce qu’une large audience saisit le propos.

Ce retour d'expérience illustre bien la puissance de cette méthode. 

Oui, et il y a énormément de choses à faire. On serait tous gagnants à passer à un discours plus simple ! Ça réduirait les inégalités d'accès à l'information tout en simplifiant la vie au quotidien. 

Nous ne sommes probablement pas très nombreuxses à feuilleter un dictionnaire devant un contrat pour décoder des termes obscurs… « Que veut dire ce mot-là ? Et celui-ci ? » Mais quel effort ! Surtout quand on sait que le cerveau des humains est un fainéant…

Un des éléments qu'on apprend avec le FALC est que, dès lors qu'on rencontre un mot compliqué, il faut que la définition soit à côté. Comme tu dis, le cerveau est fainéant. Donc, face à un obstacle qu’est un mot inconnu, soit on va se renseigner de suite sur sa définition, soit on passe à la suite, ce qui peut nuire à notre compréhension. Alors un document de 200 pages avec des mots compliqués... Qui va l'utiliser ?

Merci d’avoir pris le temps d’échanger sur la communication claire 

C'est toujours un plaisir ! On a besoin d'en parler et de sensibiliser parce c’est un sujet peu connu. Plus on va en parler, plus ça aura d'impact !

 

Veux-tu ajouter quelque chose ?

Souvent on me demande « est ce qu'on peut simplifier ce document ? » Mais oui, on peut tout simplifier ! Que ce soit un site internet, un magazine, un article de presse, un livre, un contrat, on peut vraiment tout simplifier. Il faut juste en avoir envie et bien connaître son lecteur.

Définitions

  • Littératie : terme tiré de l'anglais literacy, signifiant « alphabétisation ». Au sens large, la définition de littératie englobe un ensemble de compétences plurielles — à savoir la capacité d’un individu à apprendre, comprendre, grandir et communiquer au quotidien dans une société de l’écrit via ces apprentissages fondamentaux.
  • Langage clair : un langage simple et direct sans être primaire ni infantilisant. Son utilisation permet aux lecteurices de comprendre des documents plus rapidement.
  • Corps de police : la taille d’une police de caractère (corps 12, 14, 16…)
  • Balises : syntaxe informatique qui structure un contenu numérique et enrichit sa mise en page.
  • Contrastes : ratios de couleurs et de tailles d’éléments graphiques assurant la lisibilité d’un contenu.

Sources et ressources

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