Une prise de conscience imprévue

Un outil formidable

Un jour de janvier, il y a de cela quelques années, j’ai suivi une formation sur le livre numérique. Au troisième jour de cours, la formatrice a négligemment lancé que “le livre numérique [était] un outil formidable pour toutes les personnes empêchées de lire.”

Autant vous dire que dans ma caboche, ça y allait franco : “Comment ça, “empêchées de lire” ? Il y a des personnes qui ne peuvent pas lire ?!”

Je n’ai pas rencontré d’obstacles dans l’apprentissage et le processus de la lecture. Je ne me rappelle pas avoir côtoyé un camarade pour qui la lecture était une vraie souffrance, juste quelques personnes qui n’aimaient pas lire, voilà tout. Décortiquer les lettres, les assembler en mots, en phrases puis en textes, donner du sens à tous ces signes qui voltigeaient d’un support à un autre... Cela est et a toujours été un plaisir. 

En ce banal jour d’hiver, dans une salle de cours aseptisée, j’ai naïvement pris conscience que pour certaines personnes, l’acte de lire pouvait être difficile, quand il n’était pas impossible.

Une prise de conscience

Cette phrase est restée accrochée en moi comme une moule à son rocher, sans que je sache vraiment pourquoi. Elle a marqué le début de tout mon parcours vers l’accessibilité car, quelque temps après la formation, j’ai commencé à enquêter sur ces “publics empêchés”. J’ai découvert les domaines de l’édition adaptée, puis de l’accessibilité numérique et, enfin, du design inclusif. Des domaines passionnants et méconnus et qui pourtant promettent à chacun de trouver sa place dans la société. Ils s’assurent que cette société soit suffisamment souple, empathique et attentive pour qu’elle s’adapte aux profils des êtres humains qui la composent… et non l’inverse.

De par des échanges et lectures, j’ai compris que de l’impossibilité de lire vient la difficulté à apprendre, à se cultiver, à s’informer — en bref, un individu peut se retrouver à nager dans un quotidien paré d’obstacles. Une situation handicapante alors que l’accès aux savoirs demeure la clé d’une compréhension éclairée du monde, mais aussi un vecteur d’épanouissement et d’autonomie. 

J’ai pris progressivement conscience que chaque support de communication que j’avais pu créer durant ma carrière de graphiste avait mis de côté un pan entier de la population (qui était par ailleurs systématiquement négligé). Par manque de connaissance, de sensibilisation, de rencontres... Et parce que je n’y avais sincèrement jamais pensé.

Pourtant, je cumulais des années d’études et d’expériences professionnelles. Je n’ai pas le souvenir qu’un professeur, une intervenante ou un collègue ait abordé le sujet de la communication accessible. Avant 2020, le mot “inclusion” n’était pas à la mode non plus. J’en ai conclu avec embarras que, en tant que professionnelle de la communication, je ne communiquais que pour un groupe de personnes. Bref : j’étais un paradoxe sur pattes !

Une nécessité

Mes premières recherches m’ont démontré combien la pluralité des handicaps, des situations et des besoins humains n’était pas nécessairement prise en compte dans les processus de design. Alors, trois années après avoir entendu cette phrase-clé, j’ai décidé de laisser la place à cette ambition franche et sincère de créer supports d’information accessibles au plus grand nombre. J’avais envie de m’écarter de tout ce qui pouvait être standardisé et d’aller vers ce qui m’attire depuis toujours : l’atypique et l’innovant. Cela revient notamment à prendre le temps d’écouter les parties prenantes de tout projet de communication. 

C’est ainsi que l’atelier Senuba est né.

Senuba tire son nom de l’Espéranto, une langue utopiste à vocation universelle, construite pour encourager une communication facile et collective entre les êtres humains.

Il y a derrière l’Espéranto quelque chose de fédérateur, une envie de souplesse, de fluidité dans les échanges ; notions qui font écho à cette ambition de clarifier, de vulgariser, de transmettre des savoirs pluriels vers tous les publics, via le design.

Le mot-valise “Senuba” peut se traduire par « sans nuages » ; car dès lors que l’on comprend quelque chose, tout s’éclaire en nous comme un ciel dégagé. C’est cette petite étincelle que je cherche à déclencher au travers des outils co-créés.

Autres chroniques à découvrir

Retour aux chroniques